L’enfant cheval

 

 

Jusqu’où peut-on aller
pour les gens qu’on aime ?

Quand il apprend que son fils est autiste, le journaliste Rupert Isaacson se lance dans une aventure extraordinaire qui le mène à la rencontre des chevaux guérisseurs du Texas et des chamanes de Mongolie. La quête d’un père pour soigner son fils. Témoignage.

© Hennard

« Jamais je n’aurais imaginé devenir un spécialiste de l’autisme, mais quand Rowan a été diagnostiqué en 2004, à l’âge de deux ans, il a bien fallu que je m’y mette ! » sourit le journaliste, ancien rédacteur de guides de voyage et activiste des droits de l’homme (banni du Botswana pour son soutien aux Bushmen, expulsés de leurs terres afin d’en exploiter les mines de diamants).
Premières années : malgré des traitements biologiques et comportementaux parfois très lourds, l’enfant ne progresse pas ; ses crises sont violentes, il crie et pleure pendant des heures, incapable d’échanger par le geste ou la parole. Jusqu’au jour où il échappe à son père et fonce dans l’enclos du voisin se jeter aux pieds d’une jument réputée difficile. « Elle a spontanément baissé la tête et remué les lèvres, en signe de soumission, raconte Rupert. Moi qui monte à cheval depuis l’enfance, je n’avais jamais vu ça ! Comme si mon fils avait un lien mystérieux à l’animal, une forme de communication directe avec lui. »

Le lien se confirme : sur le dos de la jument, Rowan se calme, commence à exprimer ses sentiments et volontés. « Les animaux pensent en images, comme beaucoup d’autistes, commente Temple Grandin, professeur de sciences animales à l’université du Colorado, elle-même autiste. Nous avons du mal à entrer en contact avec les gens qui pensent avec des mots ou suivant d’autres schémas mentaux, mais il nous est souvent facile de communiquer avec les animaux. Certains enfants autistes font savoir ce qu’ils veulent dire à leur famille par l’intermédiaire d’un animal dont ils sont proches. Celui-ci sert de pont entre le monde des autistes et celui des autres humains ».
Des études montrent aussi qu’un balancement répétitif stimule les récepteurs cérébraux impliqués dans l’apprentissage, et favorise le roulement du bassin, producteur naturel d’ocytocine, l’hormone du bien-être. « Dans ces conditions, l’enfant reçoit et retient l’information de façon étonnante », confirme Rupert.
Fort de cette expérience, il met au point un programme d’équitation pour enfants atteints de troubles du comportement, rassemble des fonds, crée une fondation et un centre au Texas, organise des camps, forme d’autres professionnels…

Mais si Rupert est mondialement connu, c’est aussi pour avoir amené son petit garçon au fin fond de la Mongolie, à cheval, à la rencontre de chamanes – un périple qu’il raconte dans son livre L’enfant cheval, publié dans trente pays.
« Je n’ai pourtant jamais été branché New Age ! Ces trucs ne m’intéressaient pas, jusqu’à ce que je me retrouve au Kalahari pour écrire un livre sur la situation désespérée des Bushmen. » Là, Rupert assiste à une cérémonie : tribu assise en cercle, chants lancinants, mains qui battent le rythme… « Un petit homme se met à chanter et danser jusqu’à la transe. Il tombe dans le feu, se relève sans trace de brûlure, puis bondit aux pieds d’une vieille dame aux jambes déformées par la polyarthrite. » Le lendemain, la femme est guérie.
Poussé par son instinct, Rupert décide de partir à la recherche de Besa, un guérisseur puissant, réputé pour se transformer en animal et utiliser leurs pouvoirs. Les deux hommes se lient d’amitié. Peu à peu, Rupert en vient à voir le chamanisme comme « une réalité ordinaire, naturelle, complémentaire à la médecine occidentale. Pour les Bushmen, c’est un outil quotidien, qui les aide à survivre dans un environnement hostile. Si ça ne marchait pas, ils seraient déjà tous morts ! »
L’expérience aurait pu en rester là, mais Rupert constate un jour que son fils fait de surprenants progrès au contact des chamanes. « J’escortais une délégation Bushman à l’ONU, raconte-t-il. Leur venue aux USA coïncidant avec une convention internationale de chefs tribaux et de guérisseurs traditionnels, je les ai accompagnés ; ma femme et mon fils m’y ont rejoint. D’abord très tendu, Rowan a laissé quelques chamanes le toucher. Quelques heures plus tard, il s’approchait des gens et leur montrait ses jouets, comme un petit garçon classique. »

L’effet ne dure pas, mais Rupert a une idée : pourquoi ne pas amener l’enfant là où culture équestre et chamanisme cohabitent, c’est-à-dire en Mongolie ?
« Le mot chamane vient de là, rappelle-t-il ; en langue sibérienne, il désigne celui qui sait, qui fait le lien entre la réalité terrestre et la dimension spirituelle. » Sa femme Kristin, professeur de psychologie à l’université d’Austin, est sceptique, mais « en bonne scientifique, elle a l’esprit ouvert ! » Fidèle à son intuition, Rupert organise le voyage, d’Oulan-Bator à l’extrême Nord, où vivent les Tsaatans, le Peuple du Renne, « dont la tradition chamanique n’a pas connu d’interruption ».
La première cérémonie réunit neuf chamanes. Quatre heures durant, dotés de coiffes qui leur cachent les yeux, les guérisseurs jouent du tambour (l’un d’eux de la guimbarde), chantent, dansent, appellent les esprits, psalmodient des prières, lancent des offrandes, « tambourinent et tourbillonnent encore et encore », ne sortant de leur transe que pour poser les mains sur l’enfant, faire boire du lait à ses parents, leur cracher de la vodka dessus et leur donner des coups de fouet ! Rowan alterne rires et hurlements, puis finit par s’abandonner à la danse, visiblement heureux, « le tambour et les cris des chamanes tonnant à quelques centimètres de son visage ».
La rencontre avec le guérisseur tsaatan est plus dépouillée : masque à tête de rapace, lait de renne, herbes séchées fumantes tapotées doucement sur la tête, le cou, les épaules et le dos de l’enfant, vingt minutes de tambour, de danse et de chant… « Rowan est l’un des nôtres, confie-t-il à Rupert. Il a accepté la guérison, ses troubles vont bientôt disparaître. »

Les résultats ? Impressionnants. « A son retour de Mongolie, il était visiblement différent, témoigne un ami de la famille, le journaliste anglais John Mitchinson. Plus posé, ouvert aux autres, capable de s’exprimer intelligiblement. » Une fois rentré au Texas, ses colères, son anxiété et son hyperactivité disparaissent complètement. Son statut scolaire est réévalué ; à cinq ans, il lit comme un enfant de sept. Quelques mois plus tard, il se débrouille seul à cheval et possède toute une bande de copains – dont un seul souffrant d’une variété d’autisme.
« Je ne sais pas si je crois au chamanisme, ni comment et pourquoi ça marche, commente Rupert, je peux juste témoigner des effets observés sur mon fils. » Selon Temple Grandin, les rythmes répétitifs utilisés pendant les rituels pourraient contribuer à ouvrir les récepteurs cérébraux liés à l’apprentissage. « Mais même si c’est un effet placebo, ça n’enlève rien aux résultats ! dit Rupert. Toutes les médecines ont une part d’irrationnel. »
Depuis, sur les conseils des chamanes mongols, père et fils sont partis à la rencontre d’autres guérisseurs traditionnels, en Namibie, en Australie, bientôt en Amazonie… A chaque fois, les progrès de Rowan sont nets. Au point de conseiller aux parents d’enfants autistes de faire de même ? « Si on me le demande, je peux donner quelques conseils, le premier d’entre eux étant de se méfier des charlatans ! Le chamanisme fait partie de mon histoire personnelle. A chacun de faire son expérience, sans se fier à un seul son de cloche. Chaque enfant est différent ; il faut tout essayer, quitte à se planter, jusqu’à trouver la clé de son monde. » Car pour Rupert, l’autisme n’est pas un mal à éradiquer. « Si tu le vois sous cet angle, tu vas dans le mur. La plupart des autistes sont dotés de capacités extraordinaires. Le challenge, c’est de trouver comment accéder à leur intellect et surmonter leurs difficultés pour épanouir leurs talents. Regarde les guérisseurs indigènes, beaucoup présentent des symptômes neuropsychiatriques ! Dans nos sociétés, ils seraient placés en institution ; chez eux, leur particularité est perçue comme une qualification, pas une disqualification… Si tu adoptes la bonne attitude, ce que tu pensais être une catastrophe peut se transformer en une formidable opportunité. »

Aujourd’hui, Rowan a dix ans. Toujours autiste, « c’est son essence », mais débarrassé de ses souffrances.« Il ne sera jamais guéri de son autisme, et je ne voudrais pas qu’il le soit, conclut Rupert. Ce serait se fourvoyer. Pourquoi ne pourrait-il pas nager entre deux mondes, comme un migrant entre deux cultures ? Apprendre les compétences nécessaires à survivre dans celui-ci, tout en conservant la magie du sien. »

Livres L’enfant cheval, Rupert Isaacson, Ed. Albin Michel (2009) Les derniers hommes du Kalahari, Rupert Isaacson, Ed. Albin Michel (2008)

 

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